La CEDH a rendu deux arrêts en faveur de 14 Témoins de Jéhovah. Ils se sont plaints des perquisitions et des détentions effectuées entre 2010 et 2012
Carélie, Région de Riazan, Région de Tambov, Région de Moscou, FranceLe 22 février 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a publié deux arrêts dans lesquels elle a conclu que les autorités russes avaient violé le droit des croyants à la liberté de religion lorsqu’elles les ont arrêtés alors qu’ils discutaient de la Bible ou procédaient à des perquisitions ou à des inspections de leurs domiciles et lieux de culte.
Les arrêts sont intitulés : « Cheprunovs et autres c . Russie » (plainte 74320/10) et « Zharinova c. Russie » (plainte 17715/12). Au total, la CEDH a condamné les fidèles à verser aux fidèles environ 100 000 euros à titre de juste indemnisation, de dommages matériels et de frais de justice. Dans les deux cas, la CEDH a estimé que la Russie avait violé l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté de pensée, de conscience et de religion). Tous les épisodes se réfèrent à une époque bien antérieure à la décision de la Cour suprême de la Fédération de Russie selon laquelle toutes les entités juridiques de cette religion devaient être liquidées dans le pays. Vous trouverez ci-dessous les détails de chacun des 2 cas.
Cheprunovy et autres c. Russie (plainte 74320/10). Dans le 1er des 2 arrêts, la CEDH a décidé de regrouper 5 plaintes déposées au nom de 13 Témoins de Jéhovah des régions de Riazan et de Tambov et de Carélie.
Les époux Mikhaïl et Larisa Cheprunov, qui vivaient à Tambov en 2010, ont fait l’objet d’une perquisition. Le mandat de perquisition indiquait qu’ils pourraient être en possession « d’objets, de publications et de médias électroniques qui font la promotion de la haine et de l’inimitié religieuses, ainsi que d’autres documents sur les activités du groupe religieux des Témoins de Jéhovah. En conséquence, une Bible, des publications religieuses, un ordinateur portable et un certain nombre d’autres objets personnels ont été saisis. Les Cheprunov ont fait appel de l’ordonnance de perquisition devant une juridiction supérieure. Le 10 juin 2010, leur appel a été rejeté par le tribunal régional de Tambov. Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, les croyants se sont tournés vers la CEDH, affirmant que l’article 9 de la Convention avait été violé dans leur cas. La CEDH s’est rangée de leur côté et a condamné la Russie à verser 7 500 euros aux Cheprunov en satisfaction équitable.
En même temps que la plainte des Cheprunov, la CEDH a examiné les plaintes d’Elena Chavychalova (Chavychalova c. Russie, plainte 74329/10) et d’Elena Novakovskaya (Novakovskaya c. Russie, plainte 74339/10), qui vivaient dans la ville de Rybnoe (région de Riazan). Une opération de perquisition opérationnelle (ORM) « inspection des lieux » a été menée au domicile de Chavichalova sur la base d’allégations selon lesquelles elle était la dirigeante d’un groupe non enregistré de Témoins de Jéhovah et de soupçons de crimes en vertu de l’article 282 du Code pénal russe. Ils lui ont confisqué sa Bible, des numéros de La Tour de Garde et de Réveillez-vous ! magazines et autres publications religieuses. En conséquence, elle a été condamnée à une amende de 1500 roubles pour avoir prétendument gardé neuf articles de son domicile pour une « distribution de masse ». Le 16 juin 2010, le tribunal du district de Rybnovskiy a rejeté son recours contre l’amende administrative et, le 28 juin 2010, la Cour suprême de Russie a rejeté son recours contre la décision du juge d’autoriser la perquisition de son domicile. En conséquence, la CEDH a accordé à Chavichalova 7 500 euros d’indemnités, ainsi que 37 euros de dommages matériels. Le domicile de Novakowskaïa a également été perquisitionné, ce qui a entraîné la saisie d’une Bible, de numéros des magazines « La Tour de Garde » et « Réveillez-vous ! », ainsi que d’autres publications religieuses. La perquisition a été approuvée par le tribunal régional. La croyante a tenté de faire appel de la décision, mais le 28 septembre 2010, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté son appel sous prétexte de ne pas respecter le délai. La CEDH lui a également accordé une indemnité d’un montant de 7 500 euros.
Une autre plainte (Pekshuev et autres c. Russie, plainte 60771/13) a été déposée au nom de six Témoins de Jéhovah de Kostomuksha et de Kalevala (Carélie). La plainte concerne une perquisition menée en 2012 au domicile de croyants par des agents armés du Service fédéral de sécurité (FSB) et cagoulés. Des Bibles, des magazines et des livres, un ordinateur, des vidéos et d’autres objets personnels ont également été saisis chez les croyants. Les requérants contestent la légalité des mesures de perquisition opérationnelle dite « inspection des locaux ». En mars et avril 2013, la Commission judiciaire des affaires pénales de la Cour suprême de la République de Carélie a rejeté leurs appels. Au total, la CEDH a accordé 38 000 euros d’indemnités aux requérants dans le cadre de cette plainte.
Enfin, la dernière des plaintes examinées dans cette affaire (Ogorodnikov et autres c. Russie, plainte 29295/14) a été déposée au nom de quatre croyants et d’une organisation religieuse locale (LRO), à savoir la LRO des Témoins de Jéhovah « Kostomuksha » (liquidée en 2017). Cette plainte concerne « l’inspection des locaux » dans le bâtiment du culte et des maisons des croyants, menée en 2012 par le Service fédéral de sécurité (FSB). Les plaignants ont été arrêtés par des agents du FSB et des publications religieuses, y compris des Bibles, des magazines et des livres sur des thèmes bibliques, des ordinateurs, des vidéos et des cahiers en papier, ont été saisis. Les croyants ont déposé des plaintes, protestant contre l’ORM mené et les actions illégales des agents du FSB. Le 17 octobre 2013, la Chambre judiciaire des affaires pénales de la Cour suprême de la République de Carélie a rejeté les recours des requérants. Au total, la CEDH a alloué aux requérants 22 500 euros d’indemnités au titre de cette plainte.
Zharinova c. Russie (plainte 17715/12). Il s’agit du 2e arrêt de la CEDH, rendu le 22 février 2022. La plainte a été déposée par Yekaterina Zharinova, une habitante d’Ivanteevka (région de Moscou). En 2011, Zharinova a été approchée par deux policiers alors qu’elle discutait, accompagnée de son amie, de la Bible avec des habitants du quartier. Les policiers ont emmené les femmes au poste, où ils les ont interrogées puis les ont soumises à une fouille corporelle. Les femmes ont été déshabillées jusqu’à leurs sous-vêtements en présence de deux témoins. Ils ont également reçu l’ordre d’enlever leurs chaussures et leurs semelles. L’agente a ensuite secoué le contenu des sacs des femmes et a confisqué des effets personnels et des publications religieuses, y compris des Bibles. Les femmes ont finalement été relâchées après environ quatre heures et demie. Zharinova s’est plainte des actions de la police auprès du bureau du procureur et du tribunal de la ville d’Ivanteevsky. Toutes ses plaintes ont été rejetées. Le 20 septembre 2011, le tribunal régional de Moscou a également rejeté son appel. Dans cette affaire, la CEDH a conclu que les autorités russes avaient violé les droits de Zharinova à la liberté et à la sécurité de la personne (article 5, paragraphe 1) de la Convention et à la liberté de religion (article 9 de la Convention). En conséquence, la CEDH lui a accordé 10 000 € de satisfaction équitable et 1 000 € de frais de justice.
Bien que ces arrêts de la CEDH ne traitent pas directement de la répression des Témoins de Jéhovah russes qui s’est déroulée depuis 2017, la CEDH a réaffirmé sa pratique bien établie, reconnaissant systématiquement que les activités religieuses pacifiques des Témoins de Jéhovah en Russie sont protégées par l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Une soixantaine d’autres plaintes déposées par des croyants sont pendantes devant la CEDH, dont la décision de la Cour suprême de liquider toutes les entités juridiques des Témoins de Jéhovah en Russie. Depuis 2017, les autorités russes ont effectué quelque 1 700 perquisitions chez les Témoins de Jéhovah.
Les deux arrêts sont définitifs et ne peuvent faire l’objet d’un recours devant la Grande Chambre de la CEDH.